Les vaccins ou tests obligatoires enfreindraient-ils des droits?
Les libéraux de Justin Trudeau annonçaient récemment leur intention d’obliger les 300 000 employés de la fonction publique fédérale à être vaccinés. Mardi, le chef conservateur Erin O’Toole promettait plutôt aux fonctionnaires non vaccinés d’opter pour des tests de dépistage rapides. Qu’en diraient les tribunaux?
© Justin Tang/La Presse canadienne Le premier ministre Justin Trudeau a reçu sa deuxième dose de vaccin contre la COVID-19 dans une pharmacie d’Ottawa, le 2 juillet.
L’avocate spécialisée en droit du travail chez Lavery De Billy, Marie-Hélène Jolicoeur, affirme être sollicitée par de nombreux employeurs qui aimeraient imposer une norme de cette nature». C’est de savoir, dit-elle, si l’atteinte au droit fondamental – l’intégrité physique – est une atteinte minimale. Si on a un droit garanti, pour y porter atteinte, ça doit se faire le plus minimalement possible.»
L’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés est au cœur du débat : Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.»
Je pense qu’il s’agit d’une violation de la Charte», reconnaît l’avocat Julius Grey au sujet de la vaccination obligatoire, avant d’ajouter qu’elle pourrait être justifiée». La fonction des employés doit être prise en compte, évoque-t-il.
Les risques pour ceux qui travaillent dans un cubicule sont moins élevés que pour leurs confrères qui rencontrent des citoyens, par exemple. On ne peut pas avoir une mesure applicable à tous sans distinction, renchérit Me Jolicoeur, sans voir non plus les motifs qui pourraient être allégués par la personne.»
Pour outrepasser une garantie prévue à la Charte, il faut que cette obligation ait un but louable et qu’il y ait un lien entre ce but et la restriction, explique Me Grey. Là où ça se complique» selon lui, c’est de savoir s’il existe quelque chose de moins contraignant» comme moyen de substitution.
Le débat judiciaire, indique-t-il, porterait sur la qualité de la solution de rechange par rapport à la vaccination et ça prendrait des experts pour dire si elle est suffisante ou pas.»
Un test de dépistage, une atteinte minimale?
L’autre solution proposée par le Parti conservateur du Canada est de demander aux fonctionnaires non vaccinés de se soumettre à des tests de dépistage rapides.
D’après le médecin microbiologiste-infectiologue au CHU de Québec-Université Laval Jean Longtin, la vaccination et les tests de dépistage rapides doivent toutefois être considérés comme des approches complémentaires». Le test est une intervention qui a une efficacité de 20 à 30 % [pour dépister le virus] et on veut le mettre en comparaison avec la vaccination qui a 95 % d’efficacité contre l’infection et quasi 100 % contre les décès, soutient-il. C’est un peu fallacieux d’oser comparer les deux.»
Au sens du droit», l’atteinte à l’intégrité physique posée par ces tests apparaît néanmoins, aux yeux de Me Marie-Hélène Jolicoeur, plus minimale» puisqu’il ne s’agit pas d’injecter un produit dans les veines de quelqu’un».
Est-ce possible de faire payer les tests?
Jusqu’ici, le gouvernement fédéral a passé des ententes pour plus de 48 millions de tests de dépistage rapides à un coût de près de 927 millions de dollars, ou 19 $ le test.
En supposant qu’un fonctionnaire non vacciné doive se soumettre à plusieurs tests par semaine, il serait difficile pour l’État d’exiger un remboursement de sa part, d’autant plus en l’absence d’une clause prévue à cet effet dans les conventions collectives.
Si c’était un montant absolument prohibitif, je pense qu’il y aurait un argument en matière de droits fondamentaux, mais sinon, ce serait une question de relations de travail», souligne Me Julius Grey.
La jurisprudence n’offre pas encore toutes les réponses aux mesures exceptionnelles qui doivent être adoptées pour affronter la pandémie… et qui devront sans aucun doute subir le test des tribunaux.