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Le seuil de vaccination et l’immunité collective, une cible mouvante

Au début de la pandémie, et encore plus avec l’arrivée des vaccins, il y avait espoir qu’on atteigne l’immunité collective…Avec la multiplication des variants et le nombre de cas qui demeure élevé dans plusieurs pays à travers le monde, la tâche devient de plus en plus difficile, voire impossible.

Le seuil à atteindre pour l’immunité collective est calculé à partir du R0 – le taux de transmission – explique Nimâ Machouf, épidémiologiste et chargée de cours en santé publique à l’Université de Montréal.

Plus un virus est transmissible [et a un R0 élevé], plus on a besoin d’un taux [d’immunité à la suite d’une infection ou d’une vaccination] élevé pour pouvoir contrôler l’épidémie. Plus la transmission est faible, moins elle a besoin que les gens soient protégés, immunisés, précise Mme Machouf, qui est également militante du Nouveau Parti démocratique et souhaite représenter ce parti aux prochaines élections fédérales dans Laurier–Sainte-Marie.

Le virus ne réussit plus à survivre et disparaît lorsqu’on atteint un certain seuil de personnes immunisées (qui ont développé des anticorps après une infection ou après un vaccin). Mais il y a plusieurs obstacles à franchir avant d’atteindre l’immunité collective.

Plusieurs facteurs peuvent retarder l’immunité collective :

  • une campagne de vaccination trop lente;
  • hésitation vaccinale;
  • la présence d’éclosions qui augmentent le risque qu’un nouveau variant plus virulent apparaisse;
  • l’efficacité variable de vaccins contre les variants;
  • le SRAS-CoV-2 peut infecter d’autres animaux qui peuvent devenir des « réservoirs » pour le virus, lui permettant d’être réintroduit dans la population.

En raison de tous ces éléments, Catherine Hankins, professeure en santé publique et en santé des populations, à l’Université McGill et co-présidente du Groupe de travail sur l’immunité face à la COVID-19, ne croit pas que nous atteindrons une immunité collective qui permettra d’éradiquer ou d’éliminer le SRAS-CoV-2. Nous faisons face à un virus respiratoire qui continue de muter. Nous espérons qu’un autre variant n’apparaîtra pas, dit-elle.

La Dre Hankins rappelle que le monde n’a réussi qu’à éradiquer un seul virus, celui de la variole, et ce, après d’énormes efforts pendant des décennies pour vacciner la majorité de la population.

Pour sa part, Nimâ Machouf est un peu plus optimiste pour le Canada, puisque la campagne de vaccination va bon train.

Selon la Dre Hankins, l’immunité collective sera difficilement atteinte à l’échelle mondiale et il faudra donc trouver une façon de vivre avec le virus. Si nous atteignons des niveaux de vaccination suffisamment élevés, nous pourrons vivre avec [le virus], tout comme nous le faisons pour d’autres virus respiratoires tels que la grippe en protégeant les personnes les plus vulnérables.

Pour arriver à ce stade, il faudra tout de même un taux de vaccination très élevé, dit la Dre Hankins. Nous devons vraiment expliquer aux gens [qui hésitent à se faire vacciner] pourquoi il est important d’être vacciné, et surtout d’avoir une seconde dose.

Quel taux de vaccination doit-on atteindre?

Des personnes réunies.

Le 27 juin, 25 000 personnes ont été vaccinées à Toronto, un record pour un site de vaccination au pays.

PHOTO : THE CANADIAN PRESS / COLE BURSTON

Si l’on pense qu’on pourra annoncer la fin de la pandémie lorsque 75 % de la population adulte sera vaccinée, la réalité est un peu plus nuancée, disent les experts.

Je me méfie toujours des politiciens qui disent qu’on va ouvrir [l’économie] avec un tel taux de vaccination. Je comprends les pressions économiques, mais il faut continuer de suivre la science, dit Prabhat Jha, professeur d’épidémiologie et de santé mondiale de l’Université de Toronto, qui ajoute qu’on est encore loin de l’immunité collective.

Si on réussit à vacciner complètement 75 % de la population – comme suggèrent plusieurs provinces –, il ne faut pas penser qu’on aura atteint l’immunité collective, prévient le Dr Prabhat Jha.

Il y a toujours 25 % de la population qui n’est pas vaccinée et une partie ne veut pas l’être, les vaccins ne sont pas accessibles à tous et certains n’ont reçu qu’une dose, précise-t-il.

On parle de centaines de milliers de Canadiens qui peuvent être infectés et peuvent transmettre le virus aux personnes qui sont à risque.Une citation de :Dr Prabhat Jha, Université de Toronto

De plus, Nimâ Machouf ajoute que les enfants de moins de 12 ans ne peuvent pas encore être vaccinés et doivent être pris en compte dans le calcul du taux de vaccination à atteindre.

Par exemple, au Canada, lorsqu’on dit que 31 % de la population canadienne a reçu deux doses du vaccin, on parle seulement des personnes de 12 ans et plus. Mais lorsqu’on ajoute les enfants au calcul, on peut dire que seulement 27 % de la population du Canada est adéquatement vaccinée. Ainsi, la majorité des Canadiens – soit 26 millions – sont encore à risque d’être infectés et de développer des conséquences graves.

Pour protéger le maximum de personnes, doit-on donc vacciner 75 % de la population? Ou plus? Difficile à dire avec certitude.

La Dre Hankins explique que l’objectif de 75 % a été calculé en fonction de la souche originale du virus.

Certains estiment qu’on aurait plutôt besoin de 80 à 90 % de la population vaccinée pour faire face au variant Delta.Une citation de :Dre Catherine Hankins, Université McGill

La capacité du variant Delta à se propager plus facilement rend l’immunité collective plus difficile à atteindre. Les variants sont 50 à 60 % plus transmissibles que la souche originale du virus, rappelle le Dr Jha.

De plus, une seule dose du vaccin est efficace à environ 30 % contre ce variant, rappelle-t-il. Et les personnes qui ont reçu deux doses peuvent aussi être infectées et propager le virus sans le savoir parce que le vaccin a réduit la sévérité de leurs symptômes.

Selon Nimâ Machouf, les seuils de vaccination proposés par les gouvernements sont des estimations, et ne sont pas un chiffre magique. Elle estime que le 70-75 % souvent évoqué est beaucoup trop faible si l’on souhaite atteindre l’immunité collective.

D’ailleurs, une nouvelle étude de la Nouvelle-Zélande, qui n’a pas encore été révisée par des pairs, estime qu’il faut vacciner 83 % de la population dans le cas des variants moins transmissibles, mais qu’il faut immuniser 97 % de la population pour faire face au variant Delta. Retirer les mesures sanitaires en deçà de ce seuil aurait de sérieuses conséquences, préviennent les auteurs de l’étude.

En fait, le taux de vaccination idéal est une cible qui change continuellement dans le temps, disent les experts. Le virus continue de s’adapter, et nous devons faire de même, disent-ils.

Si les variants font en sorte que nous n’atteindrons pas l’immunité collective, ceci ne diminue en rien la valeur des vaccins, disent les experts. Plus nous nous rapprochons de l’immunité collective, moins de personnes vivront les conséquences de cette maladie.

Qu’arrive-t-il si on n’atteint pas l’immunité collective?

La principale crainte des épidémiologistes est que si le virus continue de se propager dans la communauté, des éclosions vont continuer de survenir chez les personnes non vaccinées. Et plus il y a d’éclosions – au Canada et ailleurs dans le monde – plus nous prenons le risque de voir de nouvelles mutations qui pourraient échapper au vaccin.

On s’inquiète de voir des poches de transmission au Canada, particulièrement dans certaines communautés plus vulnérables. Et même si le Canada a le contrôle [sur la pandémie], il y a aussi des points chauds à travers le monde. Nous devons contrôler la pandémie de façon globale, sinon nous prenons le risque qu’un variant reviennent nous hanter. Si ça arrive, nous sommes de retour à la case de départ, dit le Dr Jha.

Nimâ Machouf abonde dans le même sens.

On n’a pas encore traversé la COVID-19. Chaque jour, il y a 350 000 nouvelles infections dans le monde. Le virus est en grande circulation. Il a un grand terrain fertile pour se transmettre et pour changer de nature aussi.Une citation de :Nimâ Machouf, Université de MontréalDébut du widget . Passer le widget?https://datawrapper.dwcdn.net/s64U9/76/Fin du widget . Retour au début du widget?

La Dre Hankins dit qu’il est presque impossible d’empêcher les variants d’atterrir au Canada. Les variants qui apparaissent ailleurs dans le monde dans les points chauds, ils vont venir ici. Il n’y a rien qu’on puisse faire pour les arrêter, même avec des contrôles frontaliers. Il s’agit d’une urgence globale. La pandémie va continuer encore et encore si on n’adresse pas la situation au niveau mondial.

C’est pourquoi elle estime que les pays comme le Canada doivent non seulement partager les doses du vaccin, mais aussi leur expertise médicale.

Ce n’est pas juste une guerre canadienne, c’est une guerre mondiale. Nous avons devant nous encore plusieurs mois à progresser lentement.

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