Difficile reprise des chirurgies
La reprise des chirurgies est un véritable casse-tête dans les hôpitaux au Québec. Les activités tournent encore au ralenti dans les blocs opératoires, même dans les régions peu touchées par la COVID-19, comme le Bas-Saint-Laurent, selon la Fédération des médecins spécialistes du Québec. À Montréal, on manque de personnel et de tests de dépistage afin que les salles d’opération reprennent leur rythme de croisière, selon des médecins consultés par Le Devoir.
« Le retard qui a été pris dans les chirurgies va prendre plus d’un an à rattraper, estime la Dre Manon Giroux, chef du département de chirurgie à l’hôpital Pierre-Le Gardeur, à Terrebonne. Si aujourd’hui, j’ai un patient qui a une hernie inguinale [au niveau de l’aine] et qu’il est capable de la tolérer, je vais lui dire “pensez-y pas avant un an”. »
Le bloc opératoire de l’hôpital Pierre-Le Gardeur fonctionne actuellement avec trois salles, contre huit en temps normal, indique la Dre Manon Giroux. Une quatrième sera ouverte lundi. « Mais ces salles roulent à 50 % de leur capacité, dit-elle. Un cas qui prenait une heure en prend maintenant 2 ou 3. »
Pour éviter une contamination à la COVID-19, plusieurs mesures de protection ont été mises en place dans les blocs opératoires.
La Colombie-Britannique prévoit qu’il lui faudra deux ans pour rattraper le retard pris durant la pandémie. Elle n’avait pas autant de cas que nous en attente.— la Dre Diane Francoeur
« Lorsqu’on intube ou on extube un patient, on crée de la nébulisation et possiblement qu’on place des virus en suspension dans l’air, dit le D Charles Guertin, chef du service de plastie du CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal, qui pratique à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont. On doit attendre que les virus se déposent. »
Une pause de 25 minutes est donc nécessaire avant et après la chirurgie, précise-t-il.
Du temps précieux qui pourrait être utilisé plus efficacement, si tous les patients passaient un test de dépistage à la COVID-19 avant leur chirurgie, estime le Dr Jean-François Courval, président de l’Association des anesthésiologistes du Québec. Actuellement, explique-t-il, ces malades sont considérés comme potentiellement infectés et des mesures de protection sont prises en conséquence.
« On demande depuis deux mois qu’on ait des tests pour les gens qui viennent aux blocs opératoires, souligne le Dr Jean-François Courval. Ça se fait partout ailleurs au Canada et à l’international. » Grâce à un dépistage systématique, « on sauverait en temps et en équipement », dit-il.
Travail colossal
Selon le gouvernement Legault, 68 000 chirurgies ont été repoussées, en raison de la pandémie.
« On est dans le trouble, dit la Dre Diane Francœur, présidente de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ). La Colombie-Britannique prévoit qu’il lui faudra deux ans pour rattraper le retard pris durant la pandémie. Elle n’avait pas autant de cas que nous en attente. »
Dans la grande région de Montréal, les blocs opératoires fonctionnent à environ 40 % de leur capacité, selon la Dre Diane Francœur. La reprise est plus lente que prévu dans certaines régions.
« Au Bas-Saint-Laurent et en Gaspésie, on devrait se situer entre 70 et 90 % des activités et on est encore autour de 40 %, dit-elle. On ne comprend pas pourquoi. » Cette situation pourrait s’expliquer par le fait que des patients préfèrent ne pas se faire opérer, de crainte de contracter le coronavirus à l’hôpital, d’après elle.
C’est sans compter qu’après troismois d’arrêt, « recrinquer la machine » prend du temps, constate la Dre Diane Francœur.
Décider quels malades auront droit à une chirurgie en priorité représente un travail colossal, selon la Dre Manon Giroux. Les médecins doivent contacter tous leurs patients pour vérifier si leur état de santé a changé. « J’en ai 200 sur ma liste », dit-elle.
Les chirurgiens soumettent ensuite leurs cas prioritaires à leur service (ex. : orthopédie). Une autre sélection est effectuée et soumise à un comité qui juge de l’ensemble des dossiers, toutes spécialités confondues, au sein de l’hôpital.Le tableau de bord sur l’évolution du coronavirus au Québec, au Canada et dans le monde
Ce protocole de triage, intitulé le « système de priorisation pour l’accès à une chirurgie en situation de pandémie », a été élaboré par des médecins et des éthiciens, à la demande du ministère de la Santé et des Services sociaux.
« Le système se base sur le risque à la santé et la survie de la personne », dit son co-auteur, Michel Lorange, un éthicien.
Les cas urgents ou semi-urgents sont traités en priorité. Mais des traitements alternatifs peuvent être proposés à des patients. « Par exemple, dans le cas d’un cancer du sein hormono-dépendant, on peut donner un traitement anti-hormonal qui peut retarder la progression de la maladie et nous permettre d’avoir une certaine période d’attente », dit le Dr Serge Legault, qui a participé à la rédaction de ce protocole de triage.
Brigitte Brabant, avocate en éthique et en droit de la santé, craint que des patients subissent les contrecoups d’un tel protocole de triage.
« Ces personnes vont subir les réaménagements de la liste et vont avoir droit à des soins inférieurs à ce qu’ils auraient dû avoir, pense-t-elle. Ça peut vouloir dire que les gens vont décéder et leur qualité de vie sera moindre parce qu’ils n’ont pas eu droit à une chirurgie. »
Les auteurs du protocole assurent que les patients auront droit aux « meilleurs soins en fonction de leurs conditions ». Le système de priorisation, disent-ils, est basé sur l’équité.
« Si on se rend compte que des patients sont favorisés selon leur code postal, on va suggérer des correctifs, dit le Dr Serge Legault. On pourrait transférer un patient dans un autre hôpital pour qu’il y subisse une chirurgie. »